L’objecto-thérapie

Résumé : accumulateur compulsif, je collectais en abondance, petits plastiques, petits cartons, petits papiers, la matière éphémère des décennies antérieures avec en fond de rêve de créer un musée idéal ouvert à tout public.

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Du monde, il en venait peu, mais suffisamment assez de quoi me permettre tester ! Parmi ces gens, personnes recommandées, copains, copines, se trouvaient mon ancienne voisine, depuis partie se mettre en ménage avec une  thérapeute (fan de peute !). Celle-ci, à l’ouverture d’un placard grouillant de titoilles, s’était précipitée  sur un flacon de parfum de foire, et la voix en émoi, elle me demanda la permission de le déboucher, après quoi elle avait brusquement placé la fiole sous son nez, et en sniffant une forte bouffée spontanément s’était écriée : « Les autos scooter ! Les garçons ! ». Aussitôt dit, comme foudroyée, elle était tombée à la renverse sur le plancher en gesticulant de tous ses membres. Dans des convulsions contorsionnistes, elle s’était mise à babiller une espèce de salade labiale inaudible. J’avais plié un genou au sol, et m’étais penché sur elle pour tenter de déchiffrer ce qu’elle baragouinait. Je fus démuni face à un tel cas. Quoiqu’il en soit,  j’étais ravi de l’avoir fait un brin avancer…  Elle me poussa à continuer dans mes collec’ et devint une de mes plus ferventes supportrices. Une autre, le cœur retourné, vomit  dans  ma  salle à  manger  dès  la  visite  terminée.   » tiens ! tiens ? ! » …  Encore un autre, celui-ci démarcheur en livres, pourtant homme d’âge mûr, d’esprit carré, costar croisé, col cravaté, eh bien, il fondit à bouillons de larmes sur une très ancienne plaquette de chocolat à croquer Kolher. Il faisait du bruit avec son gros nez, et dans son petit mouchoir de poche me crachota d’une voix étouffée que ça en était trop, qu’il était depuis deux ans en analyse, et ne s’en sortait pas.

Constatation faite, très instructive, je conclus qu’il y avait histoire à gratter pour un psy défricheur, une nouvelle terre à explorer, que je baptisais :  » Le pays de l’Objectothérapie », un vaste territoire où la vue de l’objet déclencheur, surenchérie d’un effet d’overdose suscité par la profusion de la matière rassemblée et liée à des affects traumatiques, pourrait au moyen d’un retour violent renvoyer à des représentations refoulées, et en conséquence aiderait le patient dans son travail de recherche. En ce qui me concerne, j’étais sur la voie de me libérer de l’emprise tyrannique des objets, pour doucement devenir peut-être un jour leur maître. Je commençais à les mettre en scène, par cette parade j’arrivais insensiblement à me protéger d’eux. Autre point, j’avais pris conscience qu’il ne m’importait plus de posséder les objets attachés directement à mon vécu, comme ce fut le cas dans les premiers temps de mes quêtes. Zou, tout cela au diable ! au linge sale ! Connaissant un peu mieux le mécanisme, « vé ! », je chinais en pensant aux imaginaires des autres, ne me laissant guider que par mon flair et, « té ! », afin de ne rien louper il m’arrivait de prendre les yeux fermés. Il me fallait de la diversité, du nombre, une formidable palette de matériaux m’offrant un large choix qui me donnerait une infinie liberté dans l’exécution de mes assemblages. La passion, la foi, la création, c’est très gentil, seulement comment en faire don ? Et ce volume, toujours en constante extension, me poussant à l’envi de m’exprimer sur une large échelle dans des espaces-vitrines surdimensionnées, que seul un lieu public pouvait m’offrir.

Extrait du texte « Le pays de l’objectothérapie »

Bernard Belluc