Les deux grosses musettes devenues insuffisantes, je mettais le surplus de mes pêches d’une abondance miraculeuse, dans des sacs Casino, qu’à l’heure du départ des Puces j’enfilais au guidon de ma mob’. A propos de départ, ce dernier dimanche j’avais sur les gentes quitté le marché, avec en surcroit de mon chargement habituel, une table d’apéro en forme de palette de peintre, et mise à cheval sur le réservoir, un shako de majorette à poils blancs, accroché par les jugulaires au rétroviseur, une pile de Paris Match placée sur le porte-bagages, et une gigantesque poupée de foire de 1,20m, qu’une aimable personne m’avait ficelé dans le dos, faute de pouvoir la caser autre part. Au démarrage, il fallut qu’on me pousse. Mon deux-roues penchait de droite, de gauche, avant qu’il ne trouve une précaire stabilité. J’avançais à petits tours de roues, aux Puces il y avait toujours foule. «-Attention !», «-Attention !», «-Ne coupez pas mon élan !», je criais. D’un regard amusé, les gens s’écartaient pour me faire un passage, des gosses irrespectueux, un chien mobile foufou, me couraient derrière. Raté, moi qui voulais passer incognito, par peur de donner l’éveil sur le fruit de mes chasses et pêches. Enfin ! j’avais décollé. L’air frais de la vitesse dû à un gros 25 à l’heure, essuyait mes sueurs créées par toutes ces émotions et l’épaisseur de ma chaude canadienne portée hiver comme été. La route défilait à faible allure, certes, mais j’avançais, le principal consistait surtout à ne pas s’arrêter, car il y aurait eu problème à redémarrer. Hantise des bouchons, des passages piétons, des carrefours, des feux rouges, je brûlais tout. Et, malhérous’ ! trois bornes plus loin, catastrophe, je crève à l’arrière, boudiii ! en zigzaguant à mort sur cent mètres, plein centre de Castelnau le Lez, dimanche matin 11 heures, sortie d’église. Un ami passant en auto avec sa famille, m’aperçoit, stoppe en double file et sort son appareil photo pour me tirer le portrait. J’avais envie de tout, sauf de sourire au petit oiseau. C’était à prévoir, pas de pompe à vélo ! En quête de cet indispensable outil, je vais à pied au hasard sonner aux portes, avec toujours ligotée dans les reins ma monstrueuse poupée, dont je ne pouvais me débarrasser, les nœuds de serrage étant hors de portée de mains. Personne ne voulait m’ouvrir. Derrière une fenêtre située à un premier étage, un couple de personnes âgées, probablement durs d’oreille, du doigt me fait des indications négatives, répondant à mes mimiques de sourd et muet exprimant le désarroi d’un mec qui s’acharne à décrire par signes une pompe à bicyclette, et qu’on peut sans avoir spécialement l’esprit mal tourné, assimiler à des gestes obscènes de malade. Le tout évidemment, rehaussé par la présence de la poupée, cet objet insolite plaqué dans mon dos. Un bonhomme qui lavait sa bagnole me sauve, dans son garage je trouve mon bonheur. En trois coups, « pouf », « pouf », « pouf », je suis regonflé, il me pousse, et vas-y vas-a reparti, château branlant, avec la table d’apéro entre les pattes et tout le barda. Deux kilomètres après, toufftouff, touffff, pfff…. à nouveau à plat ! Ne nous abandonnons pas au désespoir. En rase campagne, paradoxalement il se pourrait que cela soit plus facile de se procurer de l’aide, et je me dis, chance ! c’est aujourd’hui dimanche, le jour où l’on sort les vélos. Sans attendre je lève la main au premier en vue. Oh le beau modèle de petit cycliste, casaque jaune à bandes rouge fluo, collants mauves, un modèle inconnu dans ma collec de petits coureurs Starlux. A mon signal de main, mon Anquetil freine net. Bien vu, c’est la solidarité de la Grande Amicale des deux-roues, l’homme joint l’esprit sportif à la délicatesse, en regonflant lui-même le pneu. Avec ça, serviable jusqu’au bout, il me pousse, et réavanti ! Quelques bornes non loin, j’allais encore être à plat, et cette fois ci le moral à plat-plat, étant donné qu’on était proche de midi, l’heure du casse-croûte, par conséquent plus de vélo à l’horizon…
Bernard Belluc